Robert Doisneau , Du métier à l'œuvre
13 janvier – 18 avril 2010
Comme tous les familiers de la rue, Doisneau a su fixer cette gravité rayonnante qui isole un être humain de la foule, ces moments de grâce qui rassemblent des
passants dans « l'illusion d'un instant » comme dans une géométrie de rêve. Jean-François Chevrier
Longtemps Robert Doisneau a été perçu comme le chantre du pittoresque parisien. Illustrateur de génie, il a su comme personne saisir l'image agréable, l'anecdote inattendue : on a reconnu en lui le professionnalisme et la poésie simple de l'instantané. Mais l'œuvre de Robert Doisneau est infiniment plus complexe.
L'exposition de la Fondation Cartier-Bresson propose une sélection d'une centaine d'épreuves originales, choisies en majorité parmi les trésors de son atelier et dans diverses collections
publiques ou privées. Les images présentées ont été réalisées entre 1930 et 1966 à Paris et dans sa banlieue. Cette relecture tend à montrer comment Robert Doisneau est passé « du métier à
l'œuvre »*, avec une gravité insoupçonnée, en inscrivant sur la pellicule un monde dont il voulait prouver l'existence.
Une grande complicité le liait à Henri Cartier-Bresson ; aussi enfantins l'un que l'autre dans leurs rires, ils ne manquaient cependant pas de se consulter sérieusement dès que le métier
l'exigeait. Notre amitié se perd dans la nuit des temps, écrivait HCB en 1995.
Ils n'avaient pas la même conception de la photographie, l'imparfait de l'objectif de Doisneau se conjuguant mal avec l'imaginaire d'après
nature d'un Cartier-Bresson, plutôt adepte de la rigueur, influencé par la peinture et le dessin et hostile au recadrage.
Né en 1912 à Gentilly, en banlieue parisienne, Robert Doisneau grandit dans un univers petit-bourgeois qu'il exècre. Il arpente les rues de Paris et de banlieue, faisant de ces lieux son
studio. Tout au long de sa vie, Doisneau a été fasciné par la banlieuue. Jean-François Chevrier parle du besoin de Doisneau de fixer ce qui était en train de disparaître et de
laisser le souvenir de ce petit monde qu'il aimait, Paris, ses rues, ses places publiques ou ses théâtres de boulevard.
Mobilisé à l'est pendant le début de la guerre, il est réformé en février 1940 et rentre à Paris. En juin, à l'arrivée des nazis, il quitte la capitale et se réfugie dans une ferme dans le Poitou
pendant quelques mois. C'est dans cette région qu'il réalisera 10 ans plus tard quelques unes de ses photos les plus célèbres telles que le ruban de la mariée. Pour survivre pendant cette
période où les commandes sont rares, il fabrique des cartes postales en photographiant les monuments napoléoniens et les vend au musée de l'Armée.
Dans les années 80, à la demande de la DATAR, il explore à nouveau la banlieue, son espace de prédilection, en réalisant une mission en couleur. Ma vie est télescopique,
disait-il, une suite de rencontres heureuses ou malheureuses, une improvisation au jour le jour, En effet, au fil des années, Doisneau s'est lié à de nombreux artistes, écrivains,
peintres, acteurs : de Jacques Prévert à Jacques Tati, de Saul Steinberg à Pablo Picasso, de Daniel Pennac au chanteur Renaud et Sabine Azéma, sa grande amie qui lui consacra un film pour
ses 80 ans. Ces rencontres ont façonné l'histoire de sa vie. Le photographe décède à Paris en 1994 en laissant une œuvre aux multiples entrées.
C'est toujours en ironisant sur lui-même, que Doisneau abordait son travail, qui n'était pour lui que l'antidote à l'angoisse de ne pas être. Jongleur, funambule, illusionniste pour encore plus de réalisme, tel est le paradoxe trompeur de celui qui voulait « réussir ses tours comme le font les artistes du trottoir », avec la lucidité pudique d'un artiste malgré lui.
Commenter cet article